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Un peu de tout, de moi, de nous... A lire, à sourire, à commenter et à partager!

mercredi 21 octobre 2015

Quand je serai grand, je voudrais être... (2/2)

N'en déplaise à Monsieur D., je tiendrai ma promesse.
En fait j'avais commencé à rédiger l'article 1/2 comme d'habitude, à partir d'une ou deux sorties mémorables de ma progéniture, quand tout à coup une prise de tête mère-blondinet m'a fait revenir sur mes projets: mon article était incomplet car il négligeait le métier principal, exercé 24/24, 7/7, non seulement par moi mais par une bonne épéclée de trentenaires (et quadra... quinqua... tout ça tout ça, parce que quand on fait ce choix-là, on prend perpète).
Oui parce que parent, c'est sans aucun doute le métier plus compliqué à exercer. Aucune filière de formation, tu apprends sur le tas, dès que tu te retrouves avec un petit être criard de 3kg et des brouettes dans les bras. Des cours de préparation? A l'accouchement, éventuellement. Après, une nurse te montre vaguement comment changer bébé sans t'en mettre partout et comment le baigner sans risquer de l'ébouillanter ou de le laisser glisser dans la baignoire en plastique. Ca peut toujours servir (même si on est d'accord, on a tous quand même laissé glisser bébé une fois ou l'autre...). Des ouvrages de référence? A la pelle, mais pas deux qui disent la même chose. "Laissez votre bébé pleurer, il va apprendre à se calmer tout seul, sinon vous allez en faire un enfant capricieux et ultra-dépendant" [là je pourrais vous mettre une référence pompeuse à laquelle vous n'allez jamais vous référer et qui prouvera seulement que je me suis vraiment penchée dans un ou deux manuels de puériculture. Mais je vais vous épargner ça, déjà qu'y pas des masses d'images dans ce blog, si en plus il prend l'allure d'un mémoire de licence, je vais encore perdre quelques lecteurs dans la bagarre!] vs. "Ne laissez jamais votre bébé pleurer, il a besoin de votre contact, il se sent perdu, vous allez en faire un handicapé émotionnel." OK, mais concrètement, tu fais comment? Ben tu te démerdes. Sérieux, ça manque de suivi, cette histoire. Quand tu penses aux nombres d'examens que tu passes dans ta vie, aux entretiens d'embauche, aux périodes d'essai... Là, pour le rôle le plus important de ta vie - parce qu'il y a quand même une mini autre vie qui dépend de la manière dont tu vas t'y prendre - niet. On te lâche dans l'arène. Aucun prérequis. Pas d'examen d'admission. Pas de permis de procréer. Pas de certificat de capacité à éduquer. Ca fait souci quand même. On a pas intérêt à se planter, l'avenir de la société en dépend. Et la santé mentale des enseignants aussi.

Finalement il va pas être féministe cet article, je garde ça pour plus tard (si si, j'ai encore des trucs à dire). Les papas sont pas franchement mieux lotis que les mamans dans le domaine de l'éducation. Parce que si le rejeton pleure le jour de la rentrée, ça sera maman qui l'a trop couvé, mais s'il tombe dans la délinquance juvénile, ça sera papa qui a manqué de poigne. Certains jours, on a l'impression que c'est impossible de faire juste. On fait quand même du mieux qu'on peut. De temps en temps, on se prend une poignée de fleurs dans la face, quand la maman de Théo-Marcelin dit que Blondinet II a été trooooooooop poli au dîner où il était convié et qu'il a a-do-ré les brocolis vapeur. Quand Blondinet III ramène du vert sur les "Minions du comportement" (on a des maîtresses à la pointe de l'actu cinématographique, par chez nous). Quand la maîtresse de Blondinet Ier constate qu'il savait ce que c'était qu'une règle à respecter avant d'entrer à l'école. Alléluia, y a au moins pas 100% d'échec. Mais y a quand même vachement plus de moments de solitude, ceux où l'ensemble de la clientèle de la Migros se dit que tu dois pas toucher le puck pour que Blondinet III hurle à la sous-alimentation parce que tu lui refuses une branche Cailler à 11h45. Quand au troisième jour de vacances scolaires, tu te demandes combien de survivants il y aura à la lutte fratricide qui se déroule dans le salon/la salle-de-bain/la chambre des petits. Quand tu as l'impression de délivrer les gentils-grands-parents-baby-sitters de trois monstres en furie sur le coup des 17h30. Ou quand la maman de Gustave-Philibert vient sonner à ta porte, Gustave-Philibert sous le bras en guise de témoin, pour accuser tes blonds angelots de l'avoir traité de tous les noms d'oiseau. A ce moment-là, tu fais abstraction du fait que la génitrice en question a une réputation de foldingue et Gustave-Philibert de terroriste de préau, tu fais profil bas. Tu te dis que si t'as pas 100% d'échec, t'as pas non plus 100% de réussite. T'espère quand même que la balance penchera du côté clair de la force et que tes enfants deviendront des gens biens. Qu'ils seront heureux. Ce qui est dur, c'est qu'il n'y a pas d'entretien APIS (les fonctionnaires comprendront ;) pour les autres cette obscure abréviation doit vouloir dire qqch comme appréciation des performances avec incidence sur le salaire); je me demande à quel moment on sait si on a été bon ou pas pour remplir la difficile mission de la parentalité. On a pas de supérieur hiérarchique pour évaluer le job. Pas d'augmentation de salaire. Pas de salaire du tout d'ailleurs. Quand on y pense, c'est vraiment l'arnaque, ce métier-là. Non seulement il rapporte pas un clou, mais en plus chaque mioche coûte un bras. Et encore, y a plus qu'à faire des incantations pour qu'ils n'aient pas l'idée saugrenue de faire des études. Nan nan nan nan, tu feras un apprentissage, mon fils. Je veux aller à l'Île Maurice pour mes 20 ans de mariage, moi.

Bref, des fois entre deux prises de tête "est-ce que j'ai engueulé le bon?", "est-ce que j'aurais dû le punir?", etc. je me dis heureusement qu'on sait pas tout ça avant de procréer, sinon la croissance démographique en prendrait un sacré coup. Ou pas. Parce qu'on ne peut quand même pas se priver de tout ce qu'être parent apporte comme emmerdements  petits et grands bonheurs pour de basses considérations matérielles ou pour assurer notre santé mentale à court terme. Continuez d'enfanter, donc! Pour ma part je suis quand même sacrément contente que la phase où on sacrifie 2 ans de sommeil soit derrière moi :)

vendredi 9 octobre 2015

Gazette de la foirinette

Oui, je sais, j'ai promis un 2e épisode féministe sur la vie professionnelle de la trentenaire du  21e siècle, mais dans la vie y a des impératifs saisonniers auxquels nul ne peut se soustraire. La première dizaine d'octobre en fait partie. Je ne pensais pas spécialement en faire un rapport détaillé, mais honnêtement, ça vaut le détour. Je précise tout de suite que je n'ai pas personnellement vécu toutes les situations décrites, sinon il faudrait vraiment s'inquiéter pour mon foie moi; mais on croise du monde, pendant cette première dizaine d'octobre, et ce qu'on ne vit pas et ce qu'on vit mais dont on a aucun souvenir nous est toujours rapporté.
Donc pour les non-locaux de l'étape "comptoir", la très élégamment baptisée Foire du Valais se déroule plus ou moins les 10 premiers jours d'octobre. C'est une foire qui a l'air comme les autres sur le papier. Mais sur le papier seulement.

La première différence tient à ce panneau que les visiteurs croisent la sortie. Normalement, les foires et autres expos remercient de la visite et lancent un "à bientôt" approprié. Chez nous, c'est ça:


Je crois que je pourrais arrêter là tellement c'est limpide. Mais comme j'ai quand même relevé quelques anecdotes au cours des derniers jours, je vais continuer.

Donc le Valaisan aime sa foire. Le Martignerain aime le comptoir. Il ne réfléchit pas des lustres à la caisse, il demande immédiatement une carte permanente. Il faut venir 4 fois pour l'amortir. De mémoire de blagueuse, je ne me souviens pas avoir rencontré quiconque regrettant l'investissement pour cause de non-amortissement. Il y a les gens qui viennent à la Foire du Valais comme on va au Comptoir Suisse ou à BEA Expo, eux, on aurait pu (dû?) leur dire merci pour la visite. Et puis il y a le Martignerain, celui à qui on dit "à demain". De la ville, du Bourg ou de la Combe, il commence inconsciemment le décompte à J-355. Quand les tentes blanches commencent à se monter aux abords du CERM (centre d'expo), une excitation tangible règne sur la ville. Les réseaux sociaux s'animent. Le comptoir arrive, faisant à lui seul oublier les délices estivaux, la piscine, les glaces, le paddle board. Le jour J approche, les feuilles jaunissent, rougissent, tombent, l'air se fait frais et le Martignerain se fait impatient. Enfin le jour J arrive. Le temps se suspend... ou plutôt change de rythme, phénomène étrange, entre accélérations et suspensions successives.

Jour 1 - vendredi: la rumeur monte du CERM. La frénésie s'empare de la ville. Les plus impatients sont là à 10h pile, pour fouler en premier le goudron de la Terre promise. Nouveautés. Tourniquets à l'entrée. Expo. Haut-parleur. Tous les ingrédients sont là. Espace live, espace gourmand, les repères sont là eux aussi. Premier apéro. Plus si affinités. Et y a toujours des affinités au comptoir. Toujours. Tout d'un coup l'horloge se met à tourner plus vite sans que tu comprennes pourquoi. Apéro. Dîner. Ou pas. Manger c'est tricher. C'est aussi survivre. Mais des fois, le 1er jour, tu oublies et tu te remets du solide dans la panse que quand tu penses. Et tu penses pas souvent, parce que tu croises Jean-Etienne et Ginette que t'as pas revus depuis l'an dernier (au même endroit), et trois mètres plus loin tu croises Rodolphe, Pierre-Antoine, Riri et celui-dont-tu-oublies-instantanément-le-nom en sortie de boîte. Tu discutes. Tu bois une. Tu penses pas, donc tu manges pas. Plus tard, tu penses plus parce que t'as trop bu. Au final tu manges jamais. CQFD. A 23h tu parcours la moitié de la ville à pied parce que les flics sont forcément de sortie pendant le comptoir. Tu t'arrêtes pas trop au Motel parce que c'est bondé. Tu passes chez Paulette voir si y a du monde. Trois cougars sur la piste de danse, deux soûlons au bar, même Paulette accuse le coup. D'habitude, chez Paulette, y a Nicolas. C'est un peu le Gilbert Montagné du Bourg, version homme orchestre. Il gesticule moins mais il y voit rien. Le seul hic c'est que contrairement à Gilbert, il a une mémoire visuelle. Pour la musique ça va plus ou moins. Pour les paroles c'est un plus délicat. Du coup, quand Nicolas est au clavier, on est entre l'homme orchestre et le karaoké. Ceux qui chantent savent les paroles, à jeûn. Mais à l'heure où ils arrivent pour youtser avec Nicolas, y a belle lurette que les paroles se sont perdues dans leurs esprits embrumés. Ca chante fort, ça chante mal. Quand t'as plus de voix, tu files à la New St-Michel. Cette année, Nicolas n'est pas là, alors tu files un peu plus vite. Longtemps indispensable à l'after-comptoir, la tente de la St-Miche a migré. C'est toujours les mêmes gens dedans. Donc quand j'avais 18 ans, c'était jeune. Maintenant c'est comme moi. Ceux de 18 ans, y z'étaient pas né du temps de la première St-Michel. Comme elle a canné pendant un bon bout de temps, les jeunes ont d'autres repères. C'est pas plus mal, ça dilue la foule, à défaut de diluer l'alcool. Pis au milieu de gamins de 20 ans, on trouverait peut-être Goldman ringard et Balavoine has been. Tandis que là, la playlist nous semble top. A 3h, on rallume les lumières et on te pousse vers la sortie. Si t'as du bol tu chopes une pizza ou un hot dog en partant. Ton estomac t'en sera éternellement reconnaissant.

Jour 2 - samedi: petite mine au réveil. A 8h, tu prends conscience de tes obligations parentales. Tu émerges. Tu bois de l'eau. Tu souffres. Pas grave. Tous ceux que tu croises sont dans la même galère. Enfants; foot; apéro foot. Fuite temporaire. C'est bon, tu assumes, tu peux être fier de toi. T'arrives au rond-point, tu réalises que t'as oublié un des gamins au stade. Toute fierté est remise en cause; mais ça fait rire les potes. A 14h, tu t'effondres un moment sur le canapé. A 18h, la rumeur monte. C'est reparti pour un tour.

Jour 3 - dimanche: comme le jour 2. Sauf que tu repousses les obligations parentales jusqu'à 10-11h. Quelques parties de FIFA 16 n'ont jamais tué personne. Après tu pars en mission "le comptoir avec les gosses c'est bonnard". Et moins risqué. En théorie, du moins, parce qu'en pratique, ils ont réussi à mettre suffisamment de stands où tu peux boire manger à proximité des carrousels pour que les mioches ne puissent pas se perdre pendant que leurs géniteurs sont à l'apéro. Quand le budget autos tamponneuses est à sec, ils trouvent à s'occuper. Les gosses, au comptoir, ça a un détecteur à jeux foireux où tu peux gagner des stylos, des bonnets, des lunettes, ... Y a des animaux à voir, des barbapapas à manger. Ca s'occupe tout seul quoi. Pendant ce temps, toi tu t'occupes du budget pinard. Bizarrement, t'es pas aussi sensible aux chiffres rouges que quand il s'agit des carrousels. A 20h, ta conscience se réveille et tu te rends compte que demain, y a école. Tu rentres à contre-coeur. Ils s'amusaient tant bien, les enfants.

Jour 4 - lundi: prise de conscience matinale de ton indignité parentale. Les gosses sont HS. Toi tu vides deux barrages avant d'aller bosser. 17h. Rdv de la classe/du comité/des potes: y a que la première lapée qui est difficile. Si tu bois du bon, ça passe. Là tu manges. Faut pas pousser mémé quand même. A 21h30, on refuse de te servir à l'Espace gourmand et tu migres au Motel. Contrairement au week-end, c'est abordable. De toute façon y a pas de New St-Michel en semaine. T'arrives dedans, y a Taquet au micro et Gilbert qui accompagne. Magic Men ils s'appellent. Un véritable mythe vivant. Je connais aucun autre orchestre capable d'enchaîner "Toi qui voulais toucher la chatte à la voisine" et "Anton aus Tyrol". La folie. Donc tu te trémousses un peu en chantant à tue-tête. Après 2 min 30, t'as les semelles qui collent par terre comme si tu marchais sur une chique à chaque pas. Tu t'en fous, t'as pas mis des chaussures dommages. Le dress code du comptoir, c'est tout un art: des chaussures qui ont déjà vécu, une veste pas trop dommage parce qu'elle finira jetée qq part, du multicouche pour assurer les transitions dedans-dehors sans se choper une pneumonie. Et un sac en bandoulière pour poser toutes les couches que tu portes pas à l'intérieur. S'habiller pour aller au comptoir, c'est à peu près comme faire sa valise pour partir en Angleterre: faut parer à toutes les éventualités et être imperméable... Mais revenons au Motel. Non seulement t'as les pompes qui adhèrent au plancher, mais en plus, plus la soirée avance, plus c'est bondé, et plus tu te fais transpirer dessus par des gars répugnants avec une haleine de fennec et une odeur corporelle rappelant le vestiaire d'une équipe de hockey. Autant dire que si t'es en couple, tu fais pas trop gaffe, mais les célibataires, c'est pas dans cette boîte de sardines parfumée au hareng périmé qu'ils doivent chercher des plans drague. N'empêche, bonne ambiance pour un lundi. Tu te demandes si tous ces gens, ils bossent le lendemain. Peu importe, le gouffre temporel englobe toute la ville et les employeurs se montrent compréhensifs face au manque de productivité. De toute façon, ils sont pas là pour vérifier que tu pionces pas à ton bureau, ils ont apéro au comptoir avec un client.

Jour 5 - mardi: comme le jour 4. Pendant la journée, tu prends le temps d'aller faire des courses pour remplir le frigo. Fruits et légumes exclusivement. Faut essayer de compenser le régime tartare/foie gras des adultes et hot dog/gaufres nutella des enfants. Dès 17h: comme le lundi.

Jour 6 - mercredi: le jour des enfants. Alleluia. Comme le jour 3, 1h d'attente au stand du Nouvelliste en plus, histoire de faire dédicacer des maillots de foot. La dédicace du FC Sion est aux mamans de garçons ce que le passage au Motel est à tout foireur aguerri: indispensable.

Jour 7 - jeudi: tu te dis que la fin approche. Tu sais pas encore si c'est une bonne nouvelle ou pas. Ca te manque presque déjà, cette histoire. En revenant de la banque - renouvellement du budget pinard autos tamponneuses oblige -  tu croises une copine qui n' a plus de voix et n'enlève pas ses lunettes dans un parking sous-terrain. Tu te sens moins seul dans ton sentiment de fraîcheur à jamais perdue. Cernes marqués. Si t'étais un ours, tu serais sans doute la variété "à lunettes". Les organismes sont éprouvés.

Jour 8 - vendredi: TGI Friday. Donc on y retourne et demain y a pas école. Y a foot, mais bon, ne chipotons pas. Dans un élan de motivation, tu vas dîner tranquille en te disant qu'il n'y a aucun risque de rester coincé. Erreur de débutant. Quand tu arrives enfin à t'échapper pour retourner au boulot, tu te demandes si tu as vraiment grandi à un jet de pierre de ce lieu de perdition, pour te faire encore avoir comme ça à passé 30 piges. Mais bon, tu t'es échappé. Momentanément. Vivement 17h. Retour au jour 1, respectivement jour 2 pour le samedi 9e jour.

Jour 10: dimanche: tu te dis que c'est bon, que t'as ta dose. C'est décidé, aujourd'hui, t'y vas pas. Tu l'entends pourtant encore, la rumeur. C'était pas une si bonne idée d'aller habiter un peu sur le coteau, en fait. Tu vois les tentes, tu sens la fin de la ferveur. Du coup il suffit d'un rien: un gosse qui demande hyper gentiment une dernière barbapapa, un message un peu insistant d'un copain qui revient des Maldives justement aujourd'hui et irait bien faire un tour, et c'est reparti, une dernière fois. Promis, on fait pas long.

Je ne sais pas si la Foire du Valais est la plus grande foire de Suisse romande, de Suisse, ou du monde - sujet qui a fait débat dans la région en début de semaine. Mais ce que je sais, c'est que les Martignerains, pure souche ou d'adoption, entretiennent avec elle un rapport passionnel qui souvent les empêche de quitter les lieux jusqu'à ce que les sécus les poussent vers la sortie  à l'heure (décente) où ils pensaient rentrer. Elle les attire autant qu'elle leur fait du mal. Ils en redemandent, jusqu'à la der des ders. Pour cette année il nous reste 2 jours et des brouettes, profitons-en avant de sombrer dans l'attente impatiente de l'automne prochain! Pour l'instant, l'heure est aux festivités, alors santé!

http://www.foireduvalais.ch/fr/



lundi 5 octobre 2015

Quand je serai grand, je voudrais être... (1/2)


C'est généralement assez drôle de se rendre compte de la perception que les gens ont de ta profession. Faut bien avouer que même si on croit pouvoir imaginer avec plus ou moins de précision l'emploi du temps d'un enseignant ou d'un facteur, tous les emplois ont leur face cachée... et puis il y a plein de métiers qui ne sont que des désignations sans que l'on s'imagine vraiment ce que ces professionnels font de leurs journées. Ca me rappelle un épisode de Friends où Chandler n'en revenait pas qu'aucun de ses amis ne sache finalement le job qu'il exerce. Je me sens un peu pareil quand on me demande ce que fait mon mari. Je sais le nom de la boîte, je sais la fonction, j'ai même déjà visité les locaux. Mais quand le téléphone de piquet vibre pour signaler une alarme lyophilisateur ou pression basse local 142, je n'ai en toute honnêteté pas la moindre idée de ce qu'il va trafiquer sur place pour y remédier. Je me dis juste qu'il doit être sacrément fort, mon homme, pour savoir gérer ça.

C'est comme ça pour plein de métiers, mais quand il s'agit du nôtre, ça nous paraît toujours clair - et donc étrange que le commun des mortels ne visualise pas à quoi ressemble notre journée de travail. La petite image ci-dessus doit exister pour bien des professions. J'ai expérimenté dernièrement l'avis sans fioriture de mes blondinets sur la question. Tout d'abord celui de Blondinet Ier, qui aurait signé tout de suite pour un emploi de traducteur labellisé "Armée suisse" en voyant qu'il y avait des images de chars d'assaut (enfin, à peu de choses près, on est en Suisse, on assaille pas vraiment hein) dans le document que j'étais en train de traduire. J'ai réentendu le gosse de La vita è bella, lorsque, à la fin du film, il constate éberlué que son père ne lui avait pas menti et grimpe dans le char des alliés. Un caro! Un caro vero! Mais avant que mon premier-né ne signe son engagement aux Forces terrestres, j'ai bien dû lui avouer que ma connaissance de l'engin se limitait à ce qu'il voyait à l'écran. Ah bon, si on peut pas aller dedans, c'est tout de suite moins marrant. Finalement je vais quand même faire footballeur (OK, mais travaille quand même à l'école en vue du changement de voie qui t'attend quand tu auras compris le ratio appelés/élus de cette vocation).

Une autre fois, Blondinet II étant arrivé de l'école avant que j'aie terminé mon pensum du jour, il m'a interrogée sur les raisons obscures qui me faisaient naviguer entre mes deux écrans, mes 13 fenêtres ouvertes, d'un dictionnaire spécialisé à un texte de référence et du texte source au texte cible. Je lui ai donc montré, patiemment. Lire, comprendre, et redire dans une autre langue - la nôtre - la même chose sans que la personne qui le lise se rende compte que ça n'avait pas été écrit en français dès le départ. J'étais plutôt fière de ma petite démonstration, jusqu'à ce que Blondinet II demande: "Et après, tu fais quoi?" Euh... Ben la même chose avec la phrase suivante, le paragraphe suivant, les 24 pages suivantes. "Mais tu fais ça TOUTE LA JOURNÉE??" Stupeur et tremblements. Aux yeux (malicieux) de mon fils de 8 ans, ma profession a à peu près le même intérêt que le travail à la chaîne dans une usine. Cruelle désillusion.

Avec les potes aussi, il y a parfois matière à désillusion. Déjà les amis, sortez-vous de la tête l'idée que vous pouvez me faire traduire simultanément en anglais le dernier Passe-moi les jumelles pour votre cousin Arthur arrivé hier soir de Nouvelle-Zélande et passionné d'ornithologie. Je ne sais pas dire gypaète barbu en anglais. Ce n'est pas ça, mon travail. Je ne suis pas bilingue, ni tri, ni quadri, ni rien du tout. Je ne parle pas d'ailleurs (prière de ne pas ricaner), ceux qui parlent avec un casque sur la tête et un micro dans votre oreillette quand vous allez à une conférence internationale sur le réchauffement climatique, ce sont des interprètes. Moi j'écris, uniquement, et j'écris en français, à l'exception des communications avec les clients. Inutile de m'envoyer votre CV à traduire en allemand dans l'espoir de trouver un emploi outre Sarine, vous seriez sans doute recalé au premier round. Vous croyez que je chipote pour cause de flemmingite aiguë? Rappelez-vous le dernier mode d'emploi d'un appareil produit en Chine que vous avez essayé de déchiffrer. Il est sûrement le produit d'un pseudo-traducteur que l'on pensait assez qualifié pour traduire vers le français et qui ne chipotait pas, lui. Et puis on ne peut pas tout faire. Je change déjà de langue source et des fois je m'en rends pas compte tout de suite, c'est un peu comme changer la langue de l'audio-guide quand t'es dans un bus touristique pour visiter une capitale sans t'esquinter les panards (N.B: toujours faire le tour dans le bus touristique: le shopping et l'apéro y sont des plus limités, mais t'as l'air moins bête quand tu racontes ton voyage et qu'on te parle de tel musée ou tel monument; au moins, tu les as vus de l'extérieur), sauf qu'il faut s'arranger pour comprendre ce qu'il y a sur tous les canaux. Ce qui semble finalement déjà une performance honorable. Sauf quand on te sort "aaaaaaaaaah mais en fait t'es pas capable de traduire du bas-valaisan en haut-valaisan?". Si. A peu près avec la même aisance qu'un gestionnaire de fortune à qui on demanderait de construire un cabanon de jardin (si tu n'es pas de ma parenté par alliance et que tu ne comprends pas cette comparaison, c'est normal). Donc je m'abstiens. Et personne ne comprend ce que je fais finalement, si je ne fais pas ça. Mais croyez-moi, il y a bien assez de gens qui écrivent des trucs plus ou moins intéressants en allemand et qui se disent qu'ils aimeraient bien que les Welsch bénéficient du message pour que mon risque de chômage technique soit nul. Y a même une poignée de Tessinois qui font pareil histoire de varier les plaisirs. Et si vraiment la Suisse devient un jour une terre stérile pour le traducteur, où tout le monde parle l'Espéranto ou une autre langue unique, il me restera le Canada. J'ai testé, z'aiment toujours bien le français par là-bas. Le vrai, celui qui aime pas les mots anglais. Ils regardent "Beautés désespérées" et "Le Trône de fer", eux, tandis qu'ici tu prends une pluie de postillons dès que ton interlocuteur essaie de te parler des dernières aventures de Sansa Stark. Donc le traducteur a de l'avenir, ici ou ailleurs.

Je ne sais même plus quand j'ai commencé cette note de blog tellement ça remonte, et le temps de finir correctement me manque à nouveau... alors une fois n'est pas coutume, je vais mettre un to be continued  qui ferait dresser les poils à un traducteur québécois, en vous promettant un pavé féministe (si, si! et je le revendique d'avance!) sur le manque de reconnaissance de mon deuxième métier, sachant déjà que toutes les lectrices m'en seront éternellement reconnaissantes et que tous les lecteurs tireront un peu la tronche devant l'obligation d'admettre que, tout de même, c'est pas tout faux. To be continued, donc.