Je n'ai pas d'appréhension particulière vis-à-vis des hôpitaux. On y a vécu des trucs terriblement douloureux comme des moments d'une intensité indescriptible. Des départs et des arrivées.
Là ça va. J'ai un boueb de 5 ans qui n'a pas l'air de trop souffrir, son coude est immobilisé (et je n'ai pas vu les dégâts avant qu'il le soit, ce qui n'est pas un mal), y a pas de brancard qui passe avec un type empalé sur un échalas, l'ambiance est sereine, on est pas dans Urgences quoi. Y a une gentille infirmière style mamie gâteau qui nous accompagne partout. Défilé de personnes en blouses blanches. C'est pas Urgences, mais ça pourrait être Grey's Anatomy et je vous défends de vous moquer de mes références télévisuelles. Pas facile de suivre, entre la Dr Torres du coin (en moins pulpeuse), l'anesthésiste qui a un petit air de Sloane (pas celle de Peter, celui de Grey's), le Karev en herbe (dont ni le patronyme ni l'accent ne te permettent de définir l'origine). Le bilan est sympathique: du tout grand art. "Vous voyez ce bout là? ben normalement il est rattaché au reste. Et normalement il est dans l'autre sens." Ah voilà. Mentalement, j'essaie de reconstituer le puzzle en faisant abstraction du fait que c'est d'un os de mon fiston dont on parle. Bref, ça cause opération, anesthésie, jeun ou pas jeun. J'ai droit au défilé complet 2 fois. Suivi d'un cortège d'excuses parce qu'ils ne peuvent pas opérer tout de suite. Il y a une urgence vitale. Je me dis qu'il doit y avoir le fameux brancard avec le type empalé sur son échalas quelque part dans les couloirs qu'on a empruntés. Brrrr. Intérieurement, la louve qui sommeille en moi pourrait bien dire "laissez-le caner, y a mon bébé qui a mal là!"; mais évidemment, je relativise avec toute la compassion de circonstance. En attendant qu'ils sauvent le malheureux, on monte en pédiatrie. Y a la télé. Mais pour faire oublier à un enfant de 5 ans qu'il ne peut pas boire alors qu'il crève de soif, c'est léger. L'attente est longue. Mais c'est un peu comme aller chez le dentiste: tu sais que t'as pas le choix, tu te réjouis que ce soit derrière, mais tu te réjouis tellement pas du moment M qu'attendre, c'est pas si pire. Moi je balise, parce qu'il est 19h et qu'un type qui en est peut-être à sa 36e heure de garde (avec une sieste crapuleuse avec une neurochirurgienne en salle de repos au milieu) va endormir mon fils de 20kg tout mouillé, et un autre qui sort peut-être d'une opération de 8h (durant laquelle il a parlé des problèmes de couple de sa coloc' avec l'infirmière de bloc) va lui ouvrir le coude pour y mettre deux vis. Je sais, c'est des peut-être. Mais quand même. Si je veux bien laisser survivre le type à l'échalas, je n'en reste pas moins une louve. Et puis mon petit, il a juste envie que ça s'arrête. Il en peut plus d'expliquer ce qui lui est arrivé. On lui dit plein de mots qu'il ne peut relier à rien. Il a juste peur. Et c'est dans cet état là qu'on vient nous chercher. On essaie de se concentrer sur les trucs marrants. La blouse d'hôpital avec les fesses à l'air. Prendre l'ascenseur dans son lit. Ca marche pas des masses. Trois blouses vertes, charlottes vissées sur la tête. Tiens, l'une des trois, je la connais (d'habitude quand je la vois, elle fait un stretching tellement plus stretché que moi après le cours de spinning qu'elle finit en grand écart). Ca devrait me rassurer, mais en fait pas trop. La porte rouge se referme sur mon louveteau en pleurs. Heureusement y a Lexie qui me remonte le moral. Elle est chou, Lexie, elle me trouve même un plateau repas qui traîne histoire de me remplir la panse pendant que mon fils
Dans ce service que nous avions eu la chance de ne jamais fréquenter jusqu'ici, on croise des enfants qui semblent évoluer comme chez eux; certains y passent des jours, des semaines, des mois peut-être. Alors quels qu'aient été mes peurs, mes angoisses, mes moments de ras-le-bol pendant ces quelques heures dans "la boîte orange", quelle que soit mon impatience d'en sortir, je sais que ce n'est qu'une question d'heures avant de retrouver mes trois enfants en plein santé - exception faite d'un bras droit, mais ne chipotons pas - dans le confort douillet de notre chez nous. Parfois, un petit malheur aide à savourer la chance immense que nous avons.