Le jour de mes 25 ans, une personne que je ne nommerai pas mais qui peut-être reconnaîtra sa peaudevachitude m'a dit "A partir de
maintenant, tu es sur la pente descendante". C'était vache. Mais c'est
vrai. On dira ce qu'on voudra, la vie est cruelle, on va pas du bon côté
très longtemps. Quand on y va, on se rend pas compte que ce sera si
court. Par contre une fois qu'on est du mauvais, sur la pente
descendante donc, on se rend parfaitement compte que ce sera long.
Prenons-en notre parti: on va profiter de tout ce qu'on peut faire
maintenant qu'on pouvait pas faire avant 25 ans (parce qu'on avait pas de thune/pas de voiture/pas de chez nous/pas de plein de choses). En attendant, je
remarque avec une amertume certaine que je me prends des coups de vieux
en série depuis quelque temps, je sais pas bien pourquoi. Je dois être
restée bloquée à 25 ans à l'intérieur. Donc je vois pas (trop) la
différence quand je me regarde dans le miroir. Visiblement, les autres
si. Parce que jusqu'à ce que j'aie 25 ans, on m'en donnait plutôt 18. Je
devais sortir la carte pour acheter des bières à la station-service.
Maintenant, je me retrouve à bavarder avec un honorable père de famille
grisonnant auquel je donne à vue de nez quelques années de plus que moi,
il me demande "parce qu'on est des mêmes années, non? moi je suis de
74. Toi t'es de quoi, 70, 71?" Ta gueule. Ca veut dire 79 en langage
vexé. J'ai lu une fois dans un magazine qu'il était conseillé aux hommes
de toujours enlever 5 ans à l'âge qu'ils donnaient à une femme pour
être sûrs de ne pas les vexer. Là même en retirant 5, il aurait fallu
diviser par 2 pour être flatteur.
Je conçois bien que quand on me voit passer avec une poussette et
deux
gailloufs charmants enfants en train de se chamailler, frétillant autour de moi comme
des moustiques énervés autour d'une lampe à huile sur une table de
camping un soir d'été, on ne me prenne plus pour la baby-sitter. Que les
facteurs 3 gosses/maison/gros 4x4 familial additionnés laissent peu de
doute sur la légalité de mon dernier achat d'alcool. Pis faut bien dire
que quand tu te retrouves à faire les 100 pas autour de la table de la
salle à manger en faisant la dictée à ton premier-né, tu réalises bien
que la première naissance en question, elle date pas d'hier. Mais tout
ça fait quand même l'effet d'une bonne grosse arête de brochet en
travers du gosier.
Rapport à la jeunesse évanouie (oui bon, en partie, je me sens pas non
plus complètement décrépie...), l'avantage, c'est que ça permet de faire
des choses, conscients qu'on va passer pour "un vieux con", mais que
finalement, ça fait du bien de dire ce qu'on pense à ces jeunes
turbulents. Ainsi, j'ai désormais le droit d'engueuler les
petits merdeux insolents
charmants adolescents qui essaient de garder leur bouée à la sortie du
toboggan d'Aquaparc où je patiente patiemment, deux blondinets sous le
bras. Les ados spoliés de leur moyen de glisse me traiteront certes de
vieille conne (ou emmerdeuse), mais j'assume. Parce que la bouée, c'est
moi qui l'ai. Et toc. Le grand âge donne donc quelques privilèges.
Ce qui est difficile, dans le truc, c'est qu'il m'a
manqué une case. Celle où finalement, on me donnait mon âge. Y a un
gouffre spatio-temporel dans ma vie: j'ai dû lutter pour qu'on me donne
20 ou 22 ans, et quasi du jour au lendemain on m'en donne 40. Il n'y a
pas si longtemps, je soulignais mes yeux de noir parce qu'il me semblait
que ça faisait plus adulte. Aujourd'hui je m'acharne sur le mascara
(après les étapes démaquillant/tonique/baume contour des yeux/crème Q10 "oui c'est mon âge, mais je n'ai pas les rides qui le prouvent") pour cacher les yeux bouffis et avoir l'air un
minimum "fraîche". L'un comme l'autre sont ridicules. Inutiles sans
doute. L'important après tout, c'est de se sentir assez jeune pour
courir après les bouebs qui font des bêtises, d'avoir assez
confiance en soi pour corriger les erreurs des devoirs et faire réciter
les leçons, et d'avoir assez d'énergie pour donner, pour partager, pour
aimer ceux qui nous entourent. Ca, j'ai encore malgré mes pattes d'oie
aux coins des yeux. Mais à l'avenir, j'éviterai de demander à qui que ce
soit quel âge il me donne.